I - Introduction et définitions
II - Anatomie d’une opération de course
III - La flibuste française du XVIème au XVIIème siècle
Le traité de Vervins entre la France et l'Espagne en 1598, ceux signés avec l'Angleterre en 1604 et avec les Provinces Unies en 1609 ne renouvellent pas le monopole espagnol sur l'Amérique qui ne couvrira plus que les territoires occupés effectivement, ouvrant la voie à une nouvelle période, celle des colonisations nord-européennes.
La couronne espagnole va commettre deux erreurs qui vont faciliter les implantations de leurs ennemis et le développement de la flibuste.
Désirant mettre fin à la fructueuse contrebande à laquelle se livre les habitants de la zone nord de Saint Domingue, le pouvoir royal décide en 1605/1606 de dépeupler toute la côte. Cette mesure draconienne va conduire la fraction de la population qui refuse cette déportation à subsister marginalement dans ces zones condamnées.
Aussi l'on constate qu'après une interruption plus ou moins longue les trafics reprennent avec le navigateur européen. Le dépeuplement a pour conséquence un accroissement massif des troupeaux de taureaux et de porcs devenus sauvages, constituant ainsi des réserves considérables de nourriture pour les bâtiments de passage, puis rapidement une source de profits pour les boucaniers (boucanier et boucaner proviennent d'un mot de la langue tupi : boucan qui est l'endroit où
La deuxième erreur stratégique a consisté pour les Espagnols à ne pas pouvoir coloniser la chaîne des Petites Antilles qui tout au long du XVIème débuts XVIIème siècle servira de base arrière aux flibustiers avant de courir sus aux Espagnols.
Avec le récit de l'expédition de Charles Fleury que j'ai eu le bonheur de découvrir à la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras (manuscrit n°590) et de publier, on a l'illustration parfaite de la façon dont les premiers boucaniers sont venus s'installer sur les côtes quasi désertes de l'ouest et du nord de Saint Domingue dans les années 1620. L'escadre partie " pour du bien et de l'honneur " peu à peu décimée par la faim décide de se séparer au niveau du Brésil. Après avoir séjourné 11 mois chez les Indiens Caraïbes, en février 1620 Charles Fleury reprend la mer avec une trentaine d'hommes sur une petite embarcation construite en Martinique, avec pour mission de faire sortir du port et d'attirer au large des bâtiments espagnols pour les faire capturer par ses deux associés flamands.
Mais le stratagème échoue. Fleury et ses hommes s'arrêtent ensuite à l'île à Vache pour y chasser, afin de faire provision de viande. A l'étape suivante 6 membres de l'équipage refuseront de regagner leur bord et préféreront rester sur place. Nous sommes là sans aucun doute en présence des premiers éléments des futurs groupes de boucaniers car ces hommes savent très bien en abandonnant le navire qu'ils pourront subsister et même éventuellement reprendre un navire de passage.
A partir des années 1620, l'Espagne est largement paralysée en Europe par la guerre de Trente ans (1618), avec l'Angleterre en 1624, avec la France à partir de 1630. Mais également sur le théâtre américain par l'entreprise militaro-commerciale de la WIC (compagnie hollandaise des Indes occidentales), partie à la conquête des positions espagnoles, qui expédie chaque année de puissantes flottes. En France l'accession de Richelieu aux affaires du royaume dès 1624 va apporter un soutien constant aux initiatives dans ce domaine, en particulier celle du flibustier D'Esnambuc qui propose de coloniser des îles aux Antilles. En 1626 est créée la première compagnie des Indes, c'est la Compagnie des Iles d'Amérique. Sur l'acte de constitution on peut lire :
" qu'ils rapporteront ce qu'ils auront pris et recouvert sur les pirates et gens sans aveu, et sur ceux qui empeschent aux marchands François et alliez la navigation du costé du sud au delà du tropique du cancer, et premier méridien des Essores du costé de l'ouest "
Il apparaît clairement que la course constitue l'un des objectifs affichés par l'entreprise sur Saint Christophe où décide de s'installer D'Esnambuc en 1627 avec pouvoir de délivrer des commissions. C'est donc de cette année 1627 que je daterais la naissance de la flibuste antillaise. A partir de cette date, plusieurs témoignages attestent de l'activité flibustière qui se développe à partir de l'île.
L'on ne parle pas encore d’activités de flibuste à partir de La Tortue. Il faudra attendre 1640 et le gouverneur Levasseur pour que la situation évolue. Dès le départ, par sa position stratégique, la Tortue est le lieu de rencontre entre les navires nord-européens et les boucaniers de la côte nord de Saint Domingue désireux d'échanger leurs marchandises. Après la fortification de l'île liée à la colonisation, ce rôle stratégique sera renforcé par un rôle politique entre 1640 et 1675 ; c'est en effet auprès du gouverneur de La Tortue que l'on pourra se faire délivrer des autorisations pour partir en course. C'est le même gouverneur, au retour qui adjugera ou non de bonne prise le butin apporté. Son bon mouillage se remplit alors de flibustiers. En dehors de ces période, la Tortue ne constitue aucunement le lieu d'habitation des flibustiers. Seuls quelques uns d'entre eux peuvent y résider, en particulier les marins qui s'occupent des navires. Mais l'essentiel de l'île est peuplée de cultivateurs de tabac . Une partie des flibustiers se recrutant parmi les boucaniers vivent donc entre deux opérations dans leur campement à proximité de leurs lieux de chasse sur la côte nord de Saint Domingue. Une autre partie a été recrutée sur les autres îles françaises : Saint Christophe, Guadeloupe, Martinique… où ils retournent après leur campagne.
Après la montée en puissance de la flibuste anglaise sous la direction de Morgan, Port Royal de la Jamaïque va concurrencer avec de plus en plus de succès la Tortue. Ces équipages souvent cosmopolites (anglais, français, hollandais, Noirs et Indiens des colonies espagnoles...) y trouveront de plus grandes facilités pour le mouillage et l'armement des navires.
Le déclin de la Tortue ne fera que s'accentuer avec l'installation des gouverneurs sur la côte ouest de l'île à Petit Goâve.
Les opérations les plus spectaculaires menées par les flibustiers français auront été la prise de Maracaïbo par l'Ollonois en 1666, de Véragua par Pierre Le Picard et Moïse Vauclin. Puis après la domination de Morgan entre 1668 et 1670, puis l'interdiction de la flibuste du côté anglais, la prise de Véra Cruz par De Graaf et Van Horn en 1683 et de Campèche par De Graaf et Grammont en 1685.
Mais à partir de 1682, sous la pression des planteurs et des marchands français de plus en plus intéressés au commerce espagnol, le roi multiplie les recommandations aux gouverneurs antillais de révoquer les commissions pour mettre un terme à la flibuste.
Pendant quelques années encore, certains poursuivront leurs exploits loin du berceau antillais, le long des côtes occidentales d'Amérique du sud (sur lesquels Raveneau de Lussan nous rapportera quelques belles pages), l'océan indien, le golfe de Guinée.
Puis nécessité faisant loi, Ducasse gouverneur de Saint Domingue et ancien flibustier lui-même fera appel à eux pour, en liaison avec les troupes réglées venues d'Europe prendre la ville de Carthagène en 1697... Mais les flibustiers révoltés par les conditions iniques qui leur sont accordées au moment du partage par Pointis qui dirige l'opération, décident de leur propre autorité de reprendre le pillage, mais cette fois à leur profit.
A l'image de l'opération Carthagène, les flibustiers n'apparaîtront plus désormais que comme des auxiliaires locaux des troupes réglées utilisées lors des conflits entre les puissances européennes. Ils auront perdu cette liberté d'entreprendre à leur gré telle ou telle aventure. Certes, parfois ils seront amenés à remplacer l'escadre royale absente du théâtre d'opérations (ne serais-ce que pour briser un blocus) avec des succès remarquables (Ainsi pendant la guerre de succession d'Autriche 1744/1748, les corsaires-flibustiers martiniquais firent 350 captures pour un montant de 8 à 10 millions de livres, presque autant qu'à Saint Malo !
Le terme " flibustier " continuera à apparaître dans les archives tout au long du XVIIIème siècle, mais il ne s’agira plus de cette population qui se consacrait à courir sus aux Espagnols même en temps de paix comme aux siècles précédents, mais souvent de notables (armateurs, marchands ayant un lien avec la mer…), n'armant en course que pendant les périodes de conflits.
A la fin du XVIIème débuts XVIIIème siècle (avec une accélération à la fin de la guerre de succession d'Espagne qui va démobiliser énormément d'hommes sans ressources), ceux qui ne se résoudront pas à quitter la vie flibustière à plein temps et feront des prises sans commissions, considérés comme pirates finiront pour certains en haut d'une vergue !
On retrouvera quelques uns de ces irréguliers du côté de la côte de Campeche parmi les coupeurs de bois de teinture, un autre foyer sur l'île danoise de Saint Thomas dans les îles Vierges, dans l'archipel des Bahamas ou sur les côtes d'Amérique du nord (Caroline, Virginie…) où ils trouvaient des débouchés pour écouler les marchandises volées et pour se ravitailler. Puis chassés par les escadres royales, ils poursuivront leurs desseins sous des cieux plus cléments dans l'océan Indien, autour de Madagascar mais sans avoir laissé à la postérité Libertalia, un modèle de société idéale comme a voulu nous le faire croire Daniel Defoe (alias capitaine Charles Johnson) dans " history of pyrats ".