I - Introduction et définitions
II - Anatomie d’une opération de course
III - La flibuste française du XVIème au XVIIème siècle
Evacués de la scène historique, les flibustiers et pirates des Antilles, personnages parfois peu recommandables, deviendront rapidement des héros populaires symbolisant la liberté, la générosité, le patriotisme, l'aventure sous des cieux exotiques. Une matière de premier choix dont s'emparera goulûment le roman puis le cinéma.
S'il règne aujourd’hui une certaine confusion, elle provient déjà de la première source largement utilisée : le livre d'Oexmelin (" histoire des avanturiers… ") ou plutôt des éditeurs successifs en différentes langues (puisque l'on n'a jamais retrouvé le manuscrit original), qui semblent avoir rajouté des parties apocryphes pour mieux pimenter le récit. Par exemple à sa lecture l'on s'imagine l'île de la Tortue comme une sorte de cité flibustière où vivait l'essentiel de ses troupes. Je crois avoir montré qu'il n'en a rien été.
On s'imagine également que ce ne sont que quelques poignées de flibustiers héroïques qui prenaient d'assaut les plus grandes villes espagnoles des Antilles ; là encore nous sommes loin du compte. Ainsi en 1 670 lors de l'attaque de Morgan sur Panama, c'est 36 navires (8 français, 28 anglais) montés par 1 826 hommes (500 français, 1326 anglais) qui attaquent la ville, il n'y pas plus d'espagnols en armes en face !
On pense également que le flibustier s'enrichissait rapidement ; là encore il faut déchanter. Au vu des quelques chiffres dont nous disposons pour la période la mieux documentée (1660/1680), nous savons que la part d'un flibustier va de 60 à 80 pièces de huit (la monnaie espagnole de référence à l'époque correspondant à 28,7 grammes d'argent) lors de la descente sur Puerto Principe à Cuba en 1668, à 800 pièces de huit lors de la prise de Véra Cruz en 1683. Les autres expéditions laissent en moyenne 2 à 300 pièces de huit (ou quasiment rien comme à Campeche en 1685).
Cela peut sembler conséquent quand on sait qu'un engagé (nom que l'on donnait à un travailleur qui s'engageait à travailler en moyenne 3 ans au service d'un colon qui finançait en contrepartie son passage aux îles et éventuellement un petit pécule lui permettant de s'installer à son compte ensuite) se vend 30 pièces de huit en 1666 à la Tortue. Mais il faut savoir que chaque retour d'expédition s'accompagnait automatiquement d'une montée importante des prix qui profitaient aux marchands (comme les vendeurs de pelles au temps de la ruée vers l'or) de ce fait le butin se trouvait singulièrement diminué. Quelques ascensions fulgurantes ont eu lieu mais ce n'est pas la règle !
De plus, l'on pense que les flibustiers capturaient couramment des galions chargés de trésors de retour du Mexique et du Pérou. En deux siècles, une seule flotte aura été capturée et ce par une flotte hollandaise amiral Piet Heyn avec plus de 20 navires de guerre.
D'ordinaire nos aventuriers capturaient de petits bâtiments généralement non armés faisant du commerce d'un port à l'autre de la mer des Antilles, chargés de maïs, de bois de teinture, de tabac, cargaisons certes non négligeables surtout en Europe mais nous sommes loin des coffres débordants d'or des récits de notre enfance !
L'adaptation du thème par Hollywood n'a fait que renforcer la confusion. Ainsi le grand public distingue mal entre corsaire, pirate et flibustier. Aussi le pavillon noir qui appartient à nos pirates du XVIIIème siècle accompagne parfois le flibustier (cf. Tintin dans " le secret de la Licorne "). Le flibustier arbore le pavillon de l'autorité dont il a reçu une commission, donc du côté français c'est le pavillon à fleur de lys. Le flacon de rhum comme le pavillon noir apparaît pratiquement à la fin de la flibuste. On ne connaît pas bien sûr avec précision la date d'apparition du rhum (que l'on appelle d'abord " guildive " du côté français). Si on lit les auteurs anglais, c'est à la Barbade vers 1650, mais comme en France on lit le bon Père Labat, l'on peut à bon droit penser qu'il n'est pas étranger à sa découverte ou en tous cas à son amélioration (car les Indiens Caraïbes faisaient déjà fermenter la canne à sucre pour l'utiliser comme boisson). Quoiqu'il en soit, en 1672, un jamaïcain énumérant les boissons consommées sur l'île mentionne le punch ; pourtant l'inventaire d'une taverne et de son cellier à Port Royal de la Jamaïque à la même époque ne le mentionne pas. Preuve s’il en est que le rhum n'avait pas encore acquis ses lettres de noblesse auprès de nos flibustiers ! Les flibustiers français consomment du cidre, de l'eau de vie, du vin. Là encore le rhum est lié à la piraterie du XVIIIème siècle.
Mais au delà du mythe, le flibustier aura bel et bien marqué sa place dans l'histoire des Antilles. Au XVIème siècle suppléant aux carences du pouvoir royal dans le domaine des navigations transatlantiques, il accumulera une somme d'expériences et de connaissances sur la navigation et les ressources des îles américaines qui permettront à la France, quand l'heure sera venue, de s'installer comme puissance coloniale dans la deuxième partie du XVIIème siècle. Puis quand les colonies seront établies, là encore les troupes de la flibuste suppléeront à l'absence de troupes coloniales en maintenant à bonne distance la puissance espagnole. Avant de minimiser l'importance de la flibuste, il faut garder en mémoire que les plus grands gouverneurs antillais furent d’abord des flibustiers , ou furent très proches d'eux : D'Esnambuc, D'Ogeron, Ducasse du côté français et sans oublier le grand Morgan du côté anglais !
C'est la meilleure synthèse en français sur l'évolution des sociétés antillaises dans lesquelles s'est développée la flibuste au XVIème XVIIème siècle siècles.
Michel Christian Camus était notre meilleur spécialiste de l'histoire de la Tortue.
C'est la plus ancienne relation complète et unique d’une expédition de flibuste partie de Dieppe en 1618, avec un témoignage très émouvant sur la rencontre avec les Amérindiens des Petites Antilles : Les Indiens Caraïbes de Martinique.