II - Le patrimoine immergé lié aux civilisations précolombiennes
III - Le patrimoine immergé lié à la civilisation européenne
IV - Du naufrage au site archéologique
V - Analyse du patrimoine archéologique sous-marin de Guadeloupe et de Martinique
A Les circonstances conduisant au naufrage d\’un bâtiment
VI - Législation sur la protection des biens culturels immergés : que faire en cas de découverte ?
VII - Intérêts scientifique et muséologique de ce patrimoine immergé
VIII - Mes propres travaux : à la recherche de la nef capitane du Marquis de Montesclaros
A Histoire du naufrage et des tentatives de sauvetage au XVIIème siècle
X - Une page récréative : Le trésor de l'île de la Dominique
Je ne doute pas un instant que le terme " trésor archéologique sous-marin " ne suggère aussitôt à un grand nombre d'entre vous des images d'épaves, si possible de riches galions chargés de trésors monétaires et de bijoux ; ce n'est en fait qu'une partie et même un peu mythique du patrimoine immergé des Petites Antilles (cet archipel qui s'étend sur un millier de kilomètres entre Trinidad et les Iles Vierges, en passant par la Martinique et la Guadeloupe, deux îles bien connues des Français). L'autre partie de ce patrimoine est liée aux civilisations précolombiennes qui se sont succédées sur le sol antillais.
Comme chacun sait, l'archéologie est cette science qui cherche à reconstituer le passé des hommes à partir des vestiges matériels qu'ils nous ont laissés. Aussi le patrimoine archéologique immergé des Petites Antilles est-il l'ensemble des vestiges matériels liés aux différentes cultures qui se sont succédées sur le sol antillais et dont nous retrouvons la trace, soit sous la mer, on parlera alors d'archéologie sous-marine – soit sous les eaux intérieures (rivières, lacs, marais...) on parlera alors d'archéologie subaquatique. Ce dernier terme pouvant signifier sous toutes les eaux aussi bien maritimes qu'intérieures.
Deux grands types de cultures matérielles se sont implantées et développées sur l'archipel : les cultures précolombiennes, la culture européenne.
Si l'on en croit les dernières synthèses sur la préhistoire des Petites Antilles, les plus anciens vestiges terrestres rencontrés datent de plusieurs milliers avant notre ère. L'on peut donc légitimement penser retrouver des témoignages aussi anciens dans les eaux intérieures comme dans la mer.
A partir des années 1970, ce type d'approche s'est développée en France métropolitaine avec la découverte de pirogues monoxyles (creusées dans un seul tronc d'arbre), préhistorique (lac d'Annecy) ou médiévale (Port Berteau en Charente), de sites d'habitations de l'âge du bronze (Ouroux sur Saône) ou de véritables villages (village néolithique du lac de Paladru).
L'expérience a montré que les sites en eaux douces de qualité normale, peuvent conserver certaines matières que d'autres milieux ne pourraient restituer dans d'aussi bonnes conditions : vannerie, textiles, bois, résidus alimentaires, pollen...
Aucune prospection de cette nature n'a encore été entreprise systématiquement dans les Petites Antilles (à ma connaissance).
Mais quelques découvertes fortuites ont eu lieu comme ces rames de pirogue dans un lac de bitume à Trinidad, confirmant la richesse potentielle d’un tel milieu.
Depuis 1968 de nombreux travaux ont été menés sur les grottes immergées du littoral de la France, à tel point qu'a été entreprise la constitution d'un fichier de ces sites. Du côté des Antilles l'on ne trouve rien de similaire. Pourtant vers 15000 avant Jésus-Christ (ce qui correspond à la dernière glaciation, Wisconsin avec les premières traces d'apparition de l'homme dans la région caraïbe : sites de Muaco, Cucuruchu, Taima Taima au Vénézuéla) le niveau de la mer était inférieur de 100 mètres par rapport à ce qu'il est aujourd’hui et ce jusqu'à 5000 avant Jésus-Christ ; on peut donc légitimement penser que des sites de cette période (s'ils existent) situés à proximité de la mer aient été largement submergés.
Depuis le 3 novembre 1493 (2ème voyage de Colomb avec arrivée par les Petites Antilles), les navires européens fréquentent assidûment les parages. Leurs naufrages successifs vont constituer année après année le patrimoine archéologique sous-marin des Petites Antilles.
On comprendra aisément qu'il faille faire précéder l'analyse de ce patrimoine d'un tableau de la navigation européenne dans les îles aux XVIème , XVIIème , XVIIIème siècles (Après le XVIIIème siècle, l'intérêt de l'approche archéologique sous-marine diminue dans la mesure où les autres sources d'information sont alors de plus en plus abondantes : manuscrits, archives, iconographie, livres... ; et beaucoup moins coûteuses. Plus l'on se rapproche de notre époque plus son intérêt se limite à une simple collecte d’objets à vocation muséographique) les quelques pages consacrées précédemment à la flibuste vous ont donné un aperçu de la richesse de cette navigation, aussi je vous engage à vous reporter à la synthèse que j'ai donnée dans les pages 23 à 48 de mon " Guide des trésors archéologiques sous-marins des Petites Antilles d'après les archives anglaises, espagnoles et françaises des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, Clamart 1988 ".
Mais entre les centaines de naufrages (si l'on comptabilise les dizaines de bâtiments victimes des cyclones) mentionnés par les archives et les dizaines de sites archéologiques déjà découverts ou à découvrir, il y a une grande marge s'expliquant par deux types de raisons : des raisons de type documentaire et des raisons de type physico-chimique.
Du côté des archives coloniales, après que le gouverneur ait fait un rapport sur l'état des pertes des bâtiments à la suite d’un cyclone, bien souvent de nombreuses unités qui étaient simplement jetées à la côte (comme c'est souvent le cas lors d'un cyclone) sont soit remises à flot, soit dépecées quand elles ne sont pas réparables.
Le cas peut également se produire du côté de la Lloyds (grande compagnie d'assurance anglaise) d’où j'ai utilisé les archives pour un certain nombre de données sur les naufrages aux Petites Antilles.
De même, on peut pronostiquer sans grand risque d'erreur que tous les bâtiments qui ont été perdus à la côte ou par de faibles fonds ont fait l'objet de différentes tentatives de récupération, même si elles ne sont pas mentionnées dans les archives.
Parfois, bien qu'ayant naufragé dans des conditions telles que toute tentative de récupération n'ait pas été possible, il faut encore qu'à l'emplacement du naufrage certaines conditions, essentiellement physico-chimiques aient été réunies pour qu'il y ait eu formation d'un site d'intérêt archéologique.
A la suite d'études sur des sites en eaux coralliennes, nous savons que les différents matériaux peuvent se conserver dans d'aussi bonnes conditions que dans les eaux tempérées, à l'exception du bois qui, s'il n'est pas recouvert rapidement par les sédiments peut disparaître sous l'effet d'un ver xylophage (le taret) particulièrement répandu dans les eaux chaudes.
Si de nombreuses fouilles ont déjà été effectuées dans la mer des Antilles, malheureusement aucune dans les Petites Antilles, à ma connaissance, n'a été effectuée en milieu corallien selon des critères scientifiques archéologiques. Il faut aller à Turks et Caïcos pour trouver un travail répondant à ces critères, mais les conditions en Martinique et en Guadeloupe, à la fois géologiques (volcanisme, sédimentation) et météorologiques (cyclones) diffèrent sensiblement des conditions trouvées sur les Turks et Caïcos pour pouvoir en tirer complètement des enseignements, il faudra donc attendre les premiers travaux sur les Petites Antilles pour avoir une connaissance plus précise du processus de formation et de préservation de ces sites.
Dans l'abstrait, l'on peut s'intéresser à la méthode que Muckelroy Keith publia en 1978 dans : " Maritime archaeology ", London 1978, permettant de mesurer la probabilité de bonne conservation de vestiges archéologiques sous-marins en fonction d'un certain nombre de facteurs comme la force du vent, du courant, la profondeur du site, la nature des sédiments…
C'est surtout la nature des sédiments qui est déterminante.