II - Le patrimoine immergé lié aux civilisations précolombiennes
III - Le patrimoine immergé lié à la civilisation européenne
IV - Du naufrage au site archéologique
V - Analyse du patrimoine archéologique sous-marin de Guadeloupe et de Martinique
A Les circonstances conduisant au naufrage d\’un bâtiment
VI - Législation sur la protection des biens culturels immergés : que faire en cas de découverte ?
VII - Intérêts scientifique et muséologique de ce patrimoine immergé
VIII - Mes propres travaux : à la recherche de la nef capitane du Marquis de Montesclaros
A Histoire du naufrage et des tentatives de sauvetage au XVIIème siècle
X - Une page récréative : Le trésor de l'île de la Dominique
Dans mon " guide des trésors archéologiques sous-marins des Petites Antilles... ", j'ai été amené à recenser l'ensemble des naufrages s'étant produit au cours de la période moderne autour des Petites Antilles. Les analyses qui vont suivre vont donc porter à partir des données recueillies et publiées dans ce guide, pour la Guadeloupe (Guadeloupe proprement dite, Marie Galante, la Désirade, les Saintes, Saint Barthélémy, Saint Martin) et la Martinique.
Si l'on cherche à établir une hiérarchie des circonstances conduisant au naufrage (j'entends par bâtiment naufragé aussi bien un bâtiment englouti qu'un bâtiment jeté à la côte), l'on arrive ainsi pour la Guadeloupe, sur 72 cas à mettre en première position les mauvaises conditions météorologiques (les cyclones en particulier), en 2ème position les faits de guerre (bataille rangée, bâtiment se jetant à la côte pour échapper à l'ennemi, échouement volontaire de vieux bâtiments pour se prémunir contre une attaque ennemie) avec 12 cas. En troisième position, on trouve l'erreur de navigation avec 2 cas ; enfin 2 divers : d'un côté un naufrage volontaire, de l'autre un incendie à bord.
Dans l'état actuel de ma documentation 25 cas ne sont pas explicités.
Du côté de la Martinique, sur 55 cas recensés, l'on retrouve la même hiérarchie des causes. En première position les conditions météo avec 23 cas ; en deuxième position, les faits de guerre pour 16 cas ; en troisième position, l'erreur de navigation avec 5 cas ; enfin 2 divers, 9 cas restent inexpliqués.
B - Localisation des sites
La hiérarchie des causes ayant provoqué les naufrages induit logiquement les zones où l'on va en retrouver un maximum. Pour la Guadeloupe et la Martinique il s'agira des zones portuaires ou des périmètres d'approche de ces zones : Basse Terre, Pointe à Pitre en Guadeloupe, Saint Pierre, Fort de France et la côte est en Martinique.
Quand on se penche sur les nationalités des bâtiments naufragés, on constate l'écrasante majorité de bâtiments français ; en Martinique sur un total de 135 bâtiments dont on connaît la nationalité, 100 sont français, en Guadeloupe 175 sur 217.
Viennent en deuxième position les bâtiments anglais, en Martinique : 19, en Guadeloupe : 29.
En troisième position viennent les bâtiments espagnols, 8 pour la Martinique, 5 pour la Guadeloupe. En quatrième position les bâtiments américains : 5 pour la Martinique, 3 pour la Guadeloupe. En cinquième position viennent les bâtiments hollandais avec 2 en Martinique et 4 en Guadeloupe ; ce mauvais score est certainement plus imputable à l'absence de recherche dans les archives hollandaises plutôt qu'à l'absence de commerce maritime hollandais car, au contraire, il est très présent dans les Petites Antilles au XVIIème siècle avant l'établissement du protectionnisme anglais et français.
Enfin viennent en dernière position un bâtiment canadien en Martinique, un portugais et un bâtiment colonial anglais de Barbuda en Guadeloupe.
D - Typologie des bâtiments naufragés
Poursuivant l'analyse, on constate qu'une petite partie seulement des épaves sont des navires de guerre ou armés en guerre (corsaires, flibustiers), un sur cinq en Guadeloupe, un sur sept en Martinique. L'essentiel est constitué par des bâtiments au commerce, se subdivisant en parts à peu près égales entre le cabotage local ou le commerce au long cours ; en droiture (Europe-Amérique) ou triangulaire (Europe-Afrique-Amérique).
Les bâtiments au commerce les plus mentionnés sont : la goélette qui apparaît au milieu du XVIIIème siècle : c'est un navire à deux mâts dont le port varie de cinquante à cent tonneaux et qui est exclusivement utilisé dans le commerce local.
Les bâtiments utilisés pour la traite négrière (ce qui en fait recouvre plusieurs catégories), le galion, le brigantin, le sloop ou cotre, la flûte, le senau (au XVIIIème siècle, c'est un navire de commerce à poupe carrée et à deux mâts), la lanche (ou lancha espagnole, navire du XVIIème siècle dont la forme s'apparentait à la felouque), le dogre (ancien bâtiment de Hollande pour la pêche à la morue, puis bâtiment allant au long cours, équipé d'un grand mât, d'un mât d'artimon et d'un beaupré), la hourque (également un bâtiment de charge d'origine hollandaise avec une poupe ronde, un mât et un beaupré).
En ce qui concerne les bâtiments de guerre, l'on trouve mentionnés : la corvette, la galiote à bombes, le vaisseau, la frégate, le transport de troupes.
Si l'on voulait caractériser en quelques mots ce patrimoine archéologique sous-marin, on pourrait dire qu'il y a une prédominance de bâtiments français au commerce des XVIIème, XVIIIème siècles, au long cours ou au cabotage.
En dehors des naufrages, l'archéologue sous-marin peut être amené à étudier des villes englouties, généralement à la suite d'un tremblement de terre. On a deux exemples dans les Antilles : Port Royal de la Jamaïque, engloutie en 1692 et l'ancienne Orangetown à Saint Eustache engloutie en 1690.
VI - Législation sur la protection des biens culturels immergés : que faire en cas de découverte ?
Depuis l'utilisation du scaphandre autonome, ce sont essentiellement des plongeurs qui sont à l'origine de la découverte des sites subaquatiques. Parfois, souvent de bonne foi, en cas de découverte, ils pensent en être les légitimes propriétaires, alors qu'en fait même un objet isolé, s'il présente un intérêt historique ou archéologique, doit être laissé sur place après avoir pris quelques repères. Il faut comprendre tout d’abord que ce patrimoine est fragile. Les matériaux d'origine organique comme le bois ou le tissu par exemple, demandent des traitements particulièrement élaborés pour pouvoir être conservés à l'air après un séjour prolongé dans l'eau. Il en est de même pour la plupart des matériaux d'origine minérale (le fer d'une ancre ou d'un canon par exemple). De plus, un site dans sa configuration intacte représente une somme d’informations dont va tirer partie l'archéologue. Aussi, sur un gisement, prélever un objet sans avoir effectuer une étude d'ensemble détruit sans retour une partie de l'information que l'on aurait pu recueillir et condamne à moyen terme ces objets, si aucune structure pour la conservation n'est prévue.
Le découvreur doit informer le directeur du service régional d'archéologie de sa trouvaille. Si l'objet ou l'ensemble se trouve en mer, le découvreur devra également aviser l'Inscription Maritime. En cas de découverte sous-marine le service régional d'archéologie en avise le DRASM (Département des recherches archéologiques sous-marines : Fort saint Saint Jean 13235, Marseille cedex 1) qui a pour mission la gestion, l'étude et la sauvegarde du patrimoine archéologique sous-marin sur les côtes de France métropolitaine et d'outremer.
Aux termes de la loi, l’inventeur de l'épave (car c'est ainsi qu'on l'appelle) est en droit d'obtenir une compensation pour sa découverte, en général une partie des objets. Le découvreur est même prioritaire, pour mener à bien, s'il présente les qualités requises, l'étude du site. La découverte n'ayant aucun sens s'il n'est pas possible par l'étude scientifique d'obtenir les informations qu'il recèle : c'est ce que nous allons voir maintenant.
VII - Intérêts scientifique et muséologique de ce patrimoine immergé
Le premier apport de l'archéologie subaquatique, avec la présence des vestiges de la coque, concerne l'archéologie navale. Sur la construction navale française, nous sommes surtout bien renseignés sur la marine de guerre du XVIIIème siècle, avec les modèles réduits, l'iconographie, les traités d'architecture navale, les archives, mais par contre une grande partie de ces sources nous font défaut pour le XVIIème siècle et à fortiori pour le XVIème siècle, en particulier pour la marine au commerce. L'étude du patrimoine archéologique sous-marin de Guadeloupe et de Martinique étant essentiellement constitué de bâtiments au commerce pourrait donc nous apporter une somme de renseignements irremplaçable.
En dehors de l'étude de la coque, nous pourrions aussi beaucoup apprendre sur l'armement de bord, l'artillerie...
Après l'archéologie navale, c'est l'histoire maritime des Antilles qui pourrait bénéficier de ce type de recherche, avec l'étude du commerce colonial, des routes suivies à travers les cargaisons transportées...
Après avoir étudié et traité les vestiges, il convient de faire connaître aux spécialistes et au grand public les résultats réunis dans une publication, et éventuellement par la présentation des collections recueillies dans un musée. L'on imagine sans peine en Guadeloupe l'attrait que pourrait exercer l'exposition d'une pirogue monoxyle caraïbe dans le musée Edgar Clerc au Moule, ou tous les vestiges liés à la traite négrière recueillis sur un bâtiment négrier au Musée Schoelcher de Pointe à pitre !
De même en Martinique, la transformation du cimetière d'épaves de la baie de Saint Pierre, à la suite de l'irruption de la Montagne Pelée en 1902 en Musée sous-marin unique au monde.